You are currently viewing Midsommar / L’Arcane sans nom + Le Soleil – TEC #2

Midsommar / L’Arcane sans nom + Le Soleil – TEC #2

 » Midsommar  » est un film suédo-américain sorti en 2019, écrit, réalisé par Ari Aster et produit par la société A24.

Le long-métrage suit Dani, jeune femme fragilisée après une terrible tragédie, Christian, son copain qu’elle est sur le point de quitter, et leurs amis, durant leur séjour en Suède. Là-bas, Pelle, un de leur ami, les invitera à rejoindre Harga, la communauté folklorique dont il est originaire.

Là-bas, le groupe sera accueilli et invité à partager les coutumes des lieux. Peu à peu cependant, le doute et l’étrange surviennent et les apparences se fissureront, démasquant une réalité bien plus inquiétante, sinistre… et morbide.

Il s’agit, après  »Hérédité  », du deuxième long-métrage d’Ari Aster.

Délaissant le cinéma d’horreur décomplexé et popcorn auquel les productions récentes nous ont habitué, Aster préfère, quant à lui, suggérer l’horreur par l’atmosphère, distillant une ambiance latente, mêlant au délètère une inquiétante étrangeté. Quittant les effets intentionnés, entendus ou faciles, notre réalisateur préfère miser sur une tension progressive et instable.

L’immersion psychologique et l’impact qui en découle n’en seront que plus fort.

Des thèmes communs émergent des films d’Aster : son point de vue d’observateur notamment, quasi-anthropologique, dans la construction d’un individu en affirmation ou en opposition au sein d’une communauté, d’un microcosme ; les causes à effets également, qui d’une situation initiale, enclencheront tout un lot d’enjeux.

Le genre auquel appartient notre long-métrage, l’horreur, peut d’ailleurs être sujet à débat. Si on creuse, nous pouvons rattacher le film au sous-sous genre du  » folklorique horreur  » ( »The Wicker man », un des exemples les plus typiques) et, d’une façon plus large, au thriller psychologique horrifique.

Midsommar est un film important, dont la maîtrise formelle et technique, de même que l’immersion, transcende la simple étiquette de genre pour aboutir à un grand film.

Les deux arcanes qui nous intéressent ici pour cette étude sont la XIII, l’Arcane-sans-nom, connu sous  »la mort », et représentant un squelette faucheur; et le XIX, Le Soleil, lame du principe social et masculin. Au regard du scénario, mêlant mort et lumière, ces deux cartes peuvent sembler évidentes. Les nuances du film et les différents niveaux de lecture des cartes offrent pourtant d’autres angles, aussi riches… qu’éclairants.

I – Cycle du soleil

Si l’on excepte le préambule tragique et le premier acte d’exposition nous installant les personnages et leur voyage, l’essentiel de l’intrigue se déroule à Harga, en Suède, communauté autarcique aux rites et aux modes de vie folklorique.

Là-bas, l’arrivée réservée à nos backpapers, sous ses allures d’accueil folklorique pour touristes, tient du rêve : baraquements en bois, prairie fleurie, animaux gambadant, air de flûte, ciel bleu et, surtout, cette lumière irréelle…

Car le long-métrage d’Ari Aster est lumineux, nimbé d’un éclat qui vous happe et qui, à défaut de s’atténuer, ne laisse aucun répit.

Ce temps curieusement radieux est d’abord logique : Harga s’apprête à célébrer les festivités du solstice d’été (midsommar en suédois et donnant au film son titre) qui a lieu fin mai/début juin ; point culminant de l’année donc où les journées sont les plus longues. Célébrant l’arrivée de l’été, à l’issue duquel la communauté festoie et où une reine de mai est élue, les journées sont donc extraordinairement longues, lascives.

Ari Aster tirera profit de cette incroyable exposition : elle participe indirectement à l’atmosphère anxiogène. Ce principe simple déconstruit et prend à rebours les ambiances habituellement sombres et obscures des productions du genre. Là où, d’habitude, l’obscurité, les ténèbres et les recoins sont porteurs de danger, c’est tout l’inverse avec ce soleil de plomb omniprésent, annihilant toutes ombres, et au-delà, toutes formes de repos pour nos personnages.

Mais le Soleil dans Midsommar n’est pas seulement à envisager d’un point de vue formel, de mise en scène. Toute une symbolique s’y réfère.

Pour cela, penchons-nous sur l’arcane XIX.

La carte représente deux garçons (des jumeaux ?) tout juste vêtus d’un pagne devant un muret. Le duo est accompagné de l’astre solaire répandant ses rayons juste au-dessus d’eux.

Après la Lune et ses mystères (XVIII) et avant l’éveil du Jugement (XX), le Soleil dispense sa lumière dans la joie et l’affirmation. Ici, nous sommes dans la plénitude. On parlera de bonheur, de simplicité, d’évidence, de retrouvaille également avec cette partie de nous-même qui ne nous quitte jamais, l’enfant intérieur.

Et puis, comment ne pas parler de partage.

Si l’on observe la carte, les deux garçons se soutiennent mutuellement. Car le Soleil, à un second niveau, est un arcane résolument social : l’accomplissement est inenvisageable sans l’apport d’autrui. On s’aide, on se soutient. Le bonheur individuel, aussi important qu’il soit, se décuple lorsqu’il est partagé. Par extension, le duo devient groupe. On parlera de construire ensemble, et donc de communauté.

À Harga, où les membres s’entraident chacun, que ce soit pour l’école, la cuisine, les cultes ou les soins, nous sommes bien dans le sujet. C’est le cas de Pelle qui, après avoir perdu ses parents, sera élevé par le village tout entier.

Au demeurant, le collectif est accueillant, généreux, invitant envers ses hôtes. Il y fait bon vivre. Qu’on se le dise, Harga est quasi-hédonique. Le dépaysement du lieu à quelque chose de magnétique, de l’ordre du charme. Je pose le mot, car d’ensorcellement, il en sera question.

Nos amis ne tarderont pas à le comprendre. Les villageois en effet, les convient bientôt au groupe : les repas sont pris ensemble, et les étrangers sont invités à assister aux rituels. De façon insidieuse, cependant, les étudiants seront assimilés, et leur liberté peu à peu effacée : chacun, en effet, sera absorbé, par le collectif, que ce soit par la disparition, l’intégration assumée et/ou subit.

Car la lame du Soleil recèle également des aspects plus sombres. À un niveau individuel bien sûr, où le Soleil désignera les apparences, la superficialité, la concurrence, l’imitation ou l’orgueil.

Et à un niveau collectif surtout, où nous parlerons des communautés douteuses, des groupuscules sectaires.

À l’intersection de ces deux niveaux, le Soleil désignera les faux leaders, les dangereux gourous.

Si Harga se présente comme une villégiature rurale et folklorique, quelque peu différente de la définition sectaire (pas de religion ici, ni de pouvoir, d’argent ou de gourou), dans l’esprit, elle n’en est pas loin.

Ce n’est pas un hasard si les étrangers voient leurs libertés annihilées au profit du collectif.

Dans ce processus, l’isolement exercera une part importante. Dès le deuxième acte, les disparitions vont s’accumuler, prostrant les membres restants. Leurs positions vulnérables feront d’eux des proies idéales. Ari Aster traduira cette sensation dans l’espace-temps de son récit : dès que nous entrons à Harga, nos héros n’existent déjà plus pour l’extérieur. Jusqu’à la dernière image du film, nous ne sortirons plus du village.

De tous, c’est Dani, la plus vulnérable (en apparence) qui en fera les frais. Ce qui n’a pas échappé à Pelle…

Au milieu du film, excédée et inquiète, elle range ses affaires. Pelle la rejoint et, tout en entrant en empathie avec elle, l’enjoint à se confier. Ayant connaissance de la tragédie qui l’a frappé, il raconte à la jeune fille qu’il a également perdu ses parents, créant ainsi une connivence. S’il a pu surmonter cette épreuve douloureuse grâce à la communauté, elle le peut aussi. Et c’est ainsi qu’il va la convaincre de rester.

Sous couvert d’amitié, il est donc bien question de chantage et de manipulation. Mais jusque-là est-ce vraiment une surprise ?

II- Cycle de la mort

Midsommar, dès la première demi-heure, place l’intrigue sous le sceau de la mort. Après un mystérieux message, Dani, angoissée, n’a plus de nouvelles de sa sœur… jusqu’au dénouement du mystère qui sera terrible : elle apprendra que cette dernière s’est suicidée par intoxication en emportant ses deux parents. Il sera donc question de deuil, avec tout ce que cela entraîne : tristesse, vulnérabilité, confusion…

Pour ceux qui ont en tête l’illustration de l’arcane sans nom, à savoir un squelette faucheur marchant sur une terre noire parsemée de membres coupés (mains, pieds, tête féminine/maternelle, tête couronnée masculine/paternelle), on ne saurait être plus explicite !

On a souvent associé à l’arcane XIII l’appellation de  »La mort  ». Si je n’utilise pas ce terme, car inapproprié dans le nom de la carte et réducteur dans sa symbolique globale, dans une lecture immédiate, l’arcane et bien, n’est pas exempte de tournures funestes. Le film n’aura de cesse de nous le rappeler : les rituels de Harga notamment où la mort est à la fois mise en scène (rituel de la rivière) et terriblement réelle (la chute des deux septuagénaires de la falaise et leur achèvement ; la mise à feu finale du temple). Le film nous regarde alors droit dans les yeux : nous n’échapperons pas à l’impensable. Rien ne sert de se cacher, plutôt ouvrir les yeux. Car, dans Midsommar, la violence n’est pas gratuite : bien que morbide, elle manifeste autant l’absurdité tragique de ses personnages que le rappel d’une réalité douloureuse, objective mais non-fataliste. Devant cette violence, Dani sera touchée intimement ce qui, tout en la fragilisant, participera à sa métamorphose finale.

Mais l’arcane XIII, n’est pas que cela et, si l’on creuse, ce dernier nous révèle des subtilités étonnantes.

Posons-nous la question: pourquoi n’a-t-elle pas de nom ?

Pas de nom, car elle symbolise un mouvement vital aussi vaste qu’englobant.

Qui EST.

L’Arcane-sans-nom désigne la mort certes, mais aussi et surtout la vie. Nous parlerons donc de cycles de vie et de mort, et inversement. Ces deux mouvements étant indissociables, ils se nourrissent mutuellement. Car en vérité, il s’agit de la même chose. Appeler cette carte  »la mort », c’est donc la réduire et l’amputer d’une partie de sa symbolique.

Principe vital donc, qui élève, fait grandir, nourrit et principe de mort qui détruit, fait pourrir, annihile, coupe.

Ce double aspect peut également s’entendre d’une façon symbolique. Dans notre psyché, nous sommes constitués de ces deux aspects, les expériences de vie n’auront de cesse de nous le rappeler : on meurt à certains aspects de soi pour renaître à d’autres. Dans ce double mouvement, l’arcane me posera aussi les questions suivantes :  » sur un curseur sur lequel vie et stagnation sont les polarités, où puis-je me situer ? » ;  »quelle est ma base  ? » ;  »où sont mes racines ?  ».

Si l’on interrogeait Dani, nous pourrions deviner sa réponse…

Sûre d’elle, elle tente de sauver les apparences en faisant ce voyage notamment… Mais dès qu’une difficulté arrive et c’est toute la façade qui s’écroule… Vulnérable, son socle est instable. Et ce n’est pas sa relation de couple avec Christian, aussi ambivalente qu’indécise, qui nous dira le contraire.

Quand nos personnages arrivent en Suède, ces derniers sont dans une situation inconfortable. Dans un pays étranger, ils sont loin de chez eux, déracinés donc. Ils devront s’adapter…

Si seulement…

Si seulement, en effet, le sentiment de sécurité n’allait pas bientôt se dégrader. La sûreté de l’espace cédant bientôt la place au doute, à l’inquiétude puis à l’angoisse à mesure que leurs comparses disparaissent.

Que faire ? Quoi faire ?

Ceux qui restent font bonne figure, mais il est déjà trop tard. Le piège se referme.

Cette prostration étouffante interrogera la place de chacun.

L’Arcane-sans-nom nous parle de notre identité. Celle à laquelle je me reconnais et à partir de laquelle je peux me développer. Ce n’est pas un hasard s’il s’agit d’un squelette, les os associés à l’édification et à la structure. Si nous ne construisons pas de bonnes bases, nous nous écroulerons. Avec cet lame, une question se pose: me suis-je construit sur des choses qui me correspondent , ou suis-je ancré sur des bases anciennes, des mensonges, des non-dits, qui ne me correspondent pas ? Si vous répondez affirmatif à ce dernier choix, l’évidence s’imposera à vous : couper, faucher cette partie de soi qui vous aliène. Mettre à mort ce qui est mort en soi… pour réenclencher la vie. Cela paraît simple, mais en pratique… c’est tout autre chose.

La clé, ou plutôt le mantra de cet arcane serait : affirme-toi ! Nomme toi !

Ce qu’apprendrons à leur dépens nos personnages: quel choix leur reste-t-il ? Rester campé dans la certitude et l’angoisse ? Tout simplement partir (si tant est que cela soit possible…) ? S’ouvrir à l’inconnu, à ce que la communauté leur propose ?

Chacun devra se positionner. L’appartenance au clan sera conditionnée par la sensibilité de chacun : si Christian et Josh installent une distance avec les événements en raison de leur curiosité anthropologique, et Mark grâce à l’humour, Dani, telle une éponge, n’aura pas cette chance, et absorbera directement les angoisses, les horreurs… Paradoxalement, c’est aussi son absence de protection, qui la renforcera, lui permettant de survivre et de se faire une place.

III- Cycle de la renaissance

[ATTENTION : dans cette partie, j’aborde le déroulement du dernier acte et donc, le dénouement. J’en ai déjà dit beaucoup, mais si vous ne souhaitez pas être complètement spoilé, passez votre chemin.]

À mesure que le film avance, les possibilités sont de plus en plus étroites pour Dani et Christian, nos personnages restants.

Les préparatifs s’enchaînent : on cuisine pour le banquet à venir, les habitants se vêtissent de leurs plus beaux costumes et les filles se couronnent de halos fleuris. Le solstice s’apprête à être célébré, à l’issue de laquelle une reine de mai sera élue.

Le couple (en perdition) se laisse porter par les événements. Mais la tête ailleurs, ils sont également malléables. La communauté ne le sait que trop bien…

Si Christian, qu’on a préalablement drogué, est invité par la matriarche de Harga à se rapprocher de Maja, une fille du village, Dani est invitée à participer à la danse rituelle, véritable tour de force filmique en terme d’unité d’espace et de temps.

Chacun de nos personnages sera manipulé et aliéné, même si la tournure des événements ne sera pas la même pour chacun. Pantins offerts au collectif, Christian s’abaissera dans un accouplement ritualisé, quand Dani sera reconnue en devenant reine.

Notre Soleil prendra ici tout sens. Une fois couronnée, la communauté lui offrira une véritable place, un rôle, une force retrouvée que la tragédie chez elle avait entamé. Du groupe, elle en devient membre à part entière.

Le climax sera bien sûr le rituel final, dans lequel des participants seront sacrifiés dans un temple en feu. Coutume mêlant sacrifice et flammes, finalité et lumière, mort et renaissance, un choix sera demandé à Dani, résonnant comme une décision sans appel : choisir le sacrifié. Après qu’elle ai découvert l’accouplement, le dépit (mais pas seulement) orientera son choix.

Ce sera Christian.

L’arcane sans nom demande à ce que nous nous posions les bonnes questions. Le processus ne sera achevé que lorsque nous aurons trié, séparé, éliminé tout ce qui entrave notre personne. Cette étape s’impose si l’on ne veut pas dépérir.

Après avoir été honorée, notre héroïne doit faire un choix. Dani a conscience qu’elle doit aller jusqu’au bout du processus. Entre un prétendant tiré au sort et un Christian n’étant plus que l’ombre de lui-même, elle choisira celui qui représente ses rancœurs, son amertume, sa déception. Décidée, elle fauche tout ce qui représente cette ancienne partie d’elle-même, afin de pouvoir tourner la page, devenir autre, renaître dans la voie qu’Harga lui offrira.

Conclusion

Midsommar est un film lumineux, éblouissant, qui impacte longtemps la rétine. La vision périphérique en est même aveuglée, masquant les éventuels angles morts et autres zones d’ombres.

Nos personnages en feront les frais.

Ici, l’emprise se masque d’atours accueillants, encourageants, d’autant plus lorsqu’elle s’ancre dans un contexte qui nous semble fascinant. Mais les apparences sont trompeuses et la communauté observe en silence.

Les intentions ne sont pas celles que l’on croit.

Dans ce climat d’inquiétude permanente, l’ambivalence est la seule certitude. Dani en tirera la leçon. Un apprentissage de feu et de néant, où la main qui t’élève peut te faire mourir et le vœu qui t’annihile peut t’élever.

Et si je vous laissais en plan…

Le plan symbolisant le film dans l’esprit de nos deux arcanes est la première image du long-métrage.

Il s’agit d’une illustration, sous forme de fresque horizontale. Les dessins sont à la fois stylisés et sommaires. Quelle curieuse et fascinante entrée en matière ! Rappelant la BD, l’image offre un sens de lecture allant de la gauche vers la droite, et est divisée en cinq segments résumant des passages clé du film.

Ce qui frappe, lorsqu’on redécouvre ce plan dans un second visionnage, est l’étonnante transposition des événements à venir. Véritable résumé iconographique, certains détails, invisibles à la première vision, nous interpellent alors.

Sans surprise, vous aurez compris mon choix à la vue des deux éléments qui nous interpellent immédiatement : le crâne cracheur de flocons à en haut à gauche, et le soleil au sourire grimaçant et sardonique à droite.

Un rappel et une confirmation directe de nos arcanes bien sûr !

Laisser un commentaire